Faits
La Gambie a été sous le contrôle du président Yahya Jammeh de 1994 à 2016. Pendant plus de deux décennies, toute opposition a été réprimée. Torture, exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées étaient monnaie courante.
Après la réélection de Jammeh en septembre 2006, Ousman Sonko a été nommé ministre de l’intérieur. Il a occupé ce poste jusqu’en septembre 2016, date à laquelle il a été démis de ses fonctions et a quitté la Gambie.
En décembre 2016, Yahya Jammeh a refusé de reconnaître le résultat de l’élection présidentielle qui a vu la victoire du candidat de l’opposition Adama Barrow. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a lancé une intervention militaire en Gambie pour faire respecter les résultats de l’élection, ce qui a conduit Jammeh à quitter la présidence en janvier 2017 et à s’exiler en Guinée équatoriale.
En 2018, une Commission vérité, réconciliation et réparations (Truth, Reconciliation and Reparations Commission, TRRC) a été mise en place pour enquêter sur les crimes commis sous le régime de Jammeh. Dans son rapport final publié fin 2021, la TRRC a recommandé de poursuivre Ousman Sonko pour le rôle qu’il aurait joué dans les meurtres commis en 2000, 2005 (migrants d’Afrique de l’Ouest), 2006 et 2012 et dans les actes de torture commis en 2006 et 2016. La TRRC a également recommandé qu’il soit poursuivi pour des actes de violence sexuelle qui auraient été commis en 2005 et 2015.
Procédure
Alerté de la présence d’Ousman Sonko sur le territoire suisse, TRIAL International a déposé une dénonciation pénale auprès des autorités de poursuite du canton de Berne le 25 janvier 2017. L’ancien ministre gambien a été arrêté le lendemain au centre d’immigration de Lyss (canton de Berne), où il avait déposé une demande d’asile.
Entre 2017 et 2022, le Ministère public de la Confédération (MPC) a entendu Ousman Sonko à de multiples reprises. Dix victimes gambiennes ont déposé des plaintes individuelles. Toutes, ainsi que des dizaines de témoins, dont le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, ont été entendus par le MPC. Les autorités suisses se sont rendues à plusieurs reprises en Gambie au cours de leur enquête pour recueillir des éléments de preuve dans le cadre de la coopération judiciaire mutuelle, y compris pour entendre des témoins.
En avril 2023, le MPC a inculpé Ousman Sonko de crimes contre l’humanité commis en Gambie et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pénal fédéral, qui a fixé le procès à janvier 2024.
Le procès d’Ousman Sonko s’est ouvert le 8 janvier 2024. Il a été jugé pour le meurtre d’un opposant politique présumé en 2000, pour des actes de violence sexuelle commis entre 2000 et 2002 ainsi qu’en 2005, pour avoir participé à des actes de torture (y compris des agressions physiques et des violences sexuelles) et de séquestrations perpétrées contre des personnes soupçonnées d’avoir fomenté un coup d’État en mars 2006, ainsi que pour le meurtre d’un homme politique en 2011. Il est également jugé pour avoir co-perpétré, en 2016, des actes de séquestration et de torture – qui ont mené au décès de Solo Sandeng, un membre éminent du parti d’opposition (United Democratic Party – UDP) – à l’encontre de manifestants pacifiques, alors qu’il était ministre de l’Intérieur.
Le 15 mai 2024, Ousman Sonko a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité par le Tribunal pénal fédéral (TPF) suisse. Il a été condamné à 20 ans de prison. Le TPF l’a reconnu coupable du meurtre d’un opposant politique présumé en 2000; d’actes de torture et de détention arbitraire dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006; du meurtre d’un homme politique en 2011; de privations de liberté ainsi que d’actes de torture – dont un meurtre – à l’encontre de personnes manifestant de façon pacifique en 2016. Le TPF a, en outre, contraint M. Sonko à verser des réparations aux parties plaignantes pour les préjudices subis. Le Tribunal a classé les chefs d’accusation de violences sexuelles survenues au début des années 2000 et 2006. Sans juger qu’elles n’avaient pas eu lieu, le TPF a considéré qu’elles étaient isolées de l’attaque dirigée contre la population civile et que, par conséquent, elles ne pouvaient pas constituer des crimes contre l’humanité.